Sur les traces de PICASSO, MODIGLIANI, DESNOS et les autres à Montparnasse (suite)
Publié le 17 Mars 2021
Suite de la balade à Montparnasse au début du XXème siècle, au temps de la bohème.
Et toujours avec celles (les bohèmes) de Dan FRANCK !

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Sur les traces de PICASSO, MODIGLIANI et les autres à Montparnasse - (broken) linka
Balade dans le quartier de Montparnasse, au début du XXème siècle, avec Picasso, Modigliani, Soutine, Bourdelle, Zadkine, la Rotonde, le Dôme ... En lisant des extraits du livre BOHÈMES de Dan...
Nouveauté 2019 :
Adaptée de la trilogie Le Temps des bohèmes de Dan Franck (Grasset, 2015), cette mini-série animée nous plonge dans la vie des artistes parisiens du début du XXe siècle. Un récit vivant et émouvant de la naissance et de l’évolution des mouvements clés de l’art moderne, des premières expérimentations cubistes de Picasso à la Seconde Guerre mondiale.
Découverte également du livre de Gaëlle NOHANT "Légende d'un dormeur éveillé" qui raconte la vie et les tribulations de Robert Desnos à Paris et notamment dans le quartier de Montparnasse.
Depuis l’ouverture de la Coupole, cette soirée mémorable du 20 décembre 1927 où le champagne a coulé jusqu’à l’aube sous les fresques des Montparnos, Bob a été le témoin complice et discret d’innombrables conversations flambées au rhum ou au whisky, de rencontres explosives ou enchantées, ...
Roman de Gaëlle NOHANT « Légende d’un dormeur éveillé » , le libre de poche p.52
"Lorsque Robert pénètre dans le bar de la Coupole,
Il est cinq heures et l’endroit est encore désert. Il vient
régler son ardoise à Bob, le barman. Il aime bien ce
grand type au parler pointu en veste blanche et nœud
papillon, passé maître dans l’art de l’impertinence
pince-sans-rire. Depuis l’ouverture de la Coupole,
cette soirée mémorable du 20 décembre 1927 où le
champagne a coulé jusqu’à l’aube sous les fresques des
Montparnos, Bob a été le témoin complice et discret
d’innombrables conversations flambées au rhum ou
au whisky, de rencontres explosives ou enchantées,
d’amitiés scellées dans l’alcool, de contrats inespérés
arrachés à la camaraderie d’un instant … Ce qu’il sait
l’aurait fait embaucher illico par Joseph Fouché. Qua-
lité rare, Bob sait tenir sa langue et on raconte qu’il
a déjà accumulé assez de pourboires pour s’acheter
une maison à Versailles.
Comme le poète n’a pas ses lunettes, c’est en arrivant
à hauteur du bar qu’il remarque la jeune femme qui
sirote un porto au comptoir, ses cheveux courts serrés
sous un chapeau cloche, sa jupe soulignant le galbe de
ses jambes croisées. Quand elle lève les yeux vers lui,
il reconnaît la compagne de Foujita.
- Bonjour, Robert Desnos, lui dit-elle avec un sou-
rire mutin. Voulez-vous vous joindre à moi ?
Il lui sourit en retour et vient s’asseoir près d’elle."
Des cantines s’ouvrent, qui n’étaient pas seulement subventionnés par les autorités municipales. Ainsi celle que Marie Vassilieff mit à la disposition des peintres, dans l’impasse du Maine où elle habitait.
Dan Franck "Bohèmes" Chapitre « Sous les lampadaires voilés »
…
Dès 1914, dans sa petite chambre de la
rue Gabrielle, Max Jacob écrivait aux amis partis au front,
recevait d’eux des nouvelles qu’il transmettait à tous. En 1915,
le poète organisera une souscription pour envoyer dans le Midi
le peintre italien Gino Severini, qui se mourait de faim et de
tuberculose. Ortiz de Zarate, grand ami de Max Jacob (lui
aussi avait vu le Seigneur lui apparaître sur un mur), agit de
même le jour où il découvrit Modigliani sans connaissance dans
son atelier ; il battit le rappel des amis pour expédier le peintre
se soigner en Italie, dans a famille.
Des cantines s’ouvrent, qui n’étaient pas seulement subven-
tionnés par les autorités municipales. Ainsi celle que Marie
Vassilieff mit à la disposition des peintres, dans l’impasse du
Maine où elle habitait. Durant toute la durée du conflit, se
croisèrent chez elle les artistes installés à Montparnasse depuis
longtemps, les rescapés de la Conscription et du Bateau-Lavoir,
les grandes figures des années de la guerre et de l’après-guerre.
Marie Vassilieff venait de Russie. Après avoir étudié la pein-
ture à Moscou, elle séjourna en Italie et arriva en France en
1912. Elle fut brièvement l’élève de Matisse et fonda une aca-
démie de peinture impasse du Maine. Youki Desnos rapporte
que quelques semaines seulement après sa venue, alors qu’elle
se reposait sur un banc, elle fut abordée par un vieux monsieur
bien mis, bien poli et fort discret, qui jouait passablement du
violon et superbement du pinceau. Il la demanda en mariage.
Il comptait quarante années de plus que la jeune fille, avait été
fonctionnaire de l’octroi de Paris, et s’appelait Henri Rousseau.
Marie Vassilieff avait gardé sa main. Elle l’employait à pein-
dre et à sculpter, à tirer les cartes pour ses amis, et à leur offrir
cette pétulance généreuse grâce à laquelle, en ces temps de
guerre, ils pouvaient encore conjuguer au présent un triste
passé antérieur.
La rumeur prétendait qu’avant 14, la tsarine lui envoyait des
roubles, et la contre-rumeur la montrait à Munich, distribuant
des tracts communistes. A la fin de la guerre, elle sera soupçon-
née de travailler pour le compte des bolcheviks.
Sa cantine était connue de tout Montparnasse. Lieu privé,
elle était dispensée de couvre-feu. Quand les artistes poussaient
sa porte, c’était comme si les promesses de la nuit estompaient
les trahisons du jour.
Aux murs, des toiles : Chagall, Léger, Modigliani. Au sol,
quelques tapis effrangés. Sur les étagères, les poupées-portraits
en feutre que Marie Vassilieff fabriquait puis vendait au coutu-
rier Poiret ou aux bourgeois de la rive droite qui les empilaient
dans les angles droits de leurs cosy-corners. Partout, des chai-
ses dépareillées, des poufs décousus, des centaines d’objets gla-
nés au marché aux Puces.
...
Lorsqu'il quitte le poste de police, Modigliani va chez les
uns, chez les autres, au Dôme, à la Rotonde ou chez Rosalie.
Parfois, il longe le cimetière Montparnasse, retrouve le boule-
vard Raspail au niveau d'Edgar-Quinet et emprunte la rue
Schoelcher, sur la droite. Il marche le long des hauts murs du
cimetière jusqu'à un petit immeuble dont il grimpe allègrement
les marches. Il frappe à une porte. Une jeune femme lui ouvre :
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c'est Eva Gouel. Elle cache la pâleur de son teint sous une
couche épaisse de maquillage. Elle est malade. On parle d'une
tuberculose. Elle a tenté de dissimuler son mal à son amant,
que le spectacle de la maladie panique. Pendant longtemps,
elle s'est tue : elle craignait qu'il ne l'abandonne. Mais Picasso
est resté fidèle. Il l'accompagne chez les médecins et dans les
cliniques où Eva se rend régulièrement.
Le couple a passé les premiers mois de la guerre dans le
Midi. Il sort peu de la rue Schoelcher : dans les cafés, Picasso
se fait trop souvent insulter par les soldats en permission qui
ne comprennent pas pourquoi cet homme si bien accompagné
n'est pas au front.
La baie de l'atelier plonge sur les tombes du cimetière Mont-
parnasse. La pièce, assez grande, est encombrée de tubes, de
palettes, de pinceaux. Craignant de manquer de matériel, le
peintre a constitué des réserves considérables. Quatre ou cinq
cent toiles sont alignées le long des murs. Le sol disparaît sous
le papier dont Picasso se sert pour ses collages.
Il ne cesse de peindre : non seulement des toiles désormais
plus proches d'Ingres que du cubisme, mais encore les objets,
les chaises, les murs... Il ne supporte pas les espaces vierges.
Il se tient dos à la fenêtre, en short. Il a les traits tirés. Il
paraît soucieux. Ce n'est pas la guerre dont il ne parle pas
sinon pour prendre des nouvelles des amis : c'est Eva. L'in-
quiétude le ronge.
Lorsque Modigliani arrive, il observe une enveloppe que le
facteur vient d'apporter. Il lance à son visiteur un éclair de ce
regard noir qui impressionne tant. L'Italien ne s'émeut pas. Il
raconte sa nuit. Picasso l'écoute d'une oreille distraite. Eva a
fui vers l'arrière de l'appartement.
Les deux peintres échangent des nouvelles : Kahnweiler est
en Suisse; les frères Rosenberg achètent les cubistes; Gertrude
Stein et Alice Toklas sont revenues d'Angleterre pour repartir
à Palma; Vlaminck tourne des obus dans une usine d'arme-
ment et, le soir, il écrit des romans moyens.
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"Max Jacob se demande comment on peut être antimilita-
riste et donner sa sueur aux militaires, fait remarquer Picasso.
- Il a été réquisitionné", objecte Modigliani.
La conversation tourne court. Amedeo ignore que ses exubé-
rances heurtent l'Espagnol. Lui qui s'apprête à prendre son
envol vers les ors du grand monde a oublié ses propres frasques
de l'époque du Bateau-Lavoir. Amedeo ignorera également que
quelques mois plus tard, lors d'un bombardement, Picasso,
soulevé par l'inspiration et en manque de toile, recouvrira une
œuvre du peintre italien d'une nature morte faite au couteau.
Dix minutes à peine après l'arrivée du visiteur, les deux
hommes n'ont plus rien à se dire. Modigliani tourne les talons,
quitte l'atelier descend les étages et disparaît dans la grisaille
de la rue Schoelcher.
Picasso revient à l'enveloppe qu'il découvrait avant la venue
de l'Italien. Elle a déjà été utilisée. Ce sont bien là des manières
très économes de l'ami qui écrit. mais cet ami-là est des plus
fidèles. Et Picasso ne peut s'empêcher de sourire en se repré-
sentant le poète, si raffiné, si subtil, coquet, distingué, onc-
tueux comme une prêtre, théâtral comme un pape, naïf comme
un enfant, aujourd'hui les pieds dans la glace et les mains dans
la boue !
Il décachette l'enveloppe et se plonge dans la lecture des
dernières frasques militaro-amoureuses de Guillaume Apollinaire.
Cette scène se passe au 5bis rue Schoelcher où a habité PICASSO avec Eva GOUEL.
Juste à côté, au 5 rue Schoelcher, s'installera un autre grand artiste appelé Alberto GIACOMETTI !
Lorsqu'il quitte le poste de police, Modigliani va chez les
uns, chez les autres, au Dôme, à la Rotonde ou chez Rosalie.
Parfois, il longe le cimetière Montparnasse, retrouve le boule-
vard Raspail au niveau d'Edgar-Quinet et emprunte la rue
Schoelcher, sur la droite.
On voit très bien ce boulevard Edgar-Quinet à l'angle du boulevard Raspail dans cette photo de la statue d'Ossip Zadkine dont je parlais dans un récent article.
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L'ART est dans la RUE - ZADKINE à Montparnasse - (broken) linka
Je continue la rubrique "l'art est dans la rue" avec une balade sur le boulevard Raspail tout près de la Fondation Cartier et du cimetière du Montparnasse où repose l'artiste Ossip ZADKINE . On ...
http://linkaewa.over-blog.com/2021/03/l-art-est-dans-la-rue-zadkine-a-montparnasse.html
/https%3A%2F%2Famericangirlsartclubinparis.files.wordpress.com%2F2014%2F09%2Fimg_9098.jpg%3Fw%3D584%26h%3D778)
American Girls Art Club In Paris. . . and Beyond
I heard about Anne Girard's new novel Madame Picasso (Mira Books, August 2014) and made sure it was packed in my carry-on bag when I boarded my recent plane to Paris. The cover is gorgeous and the ...
MATISSE : couleur, PICASSO : forme. Deux grandes tendances, un grand but.
Dan Franck "Bohèmes" Chapitre « Un après-midi rue de Fleurus »
Rue de Fleurus, n° 27. Une maison à deux étages, un atelier
attenant. Côté pavillon, quelques chambres, une salle de
bains, une cuisine où l’on dîne. Côté atelier, une vaste pièce,
des meubles cirés de la Renaissance italienne, un poêle, deux
ou trois tables encombrées de fleurs et de porcelaines, une che-
minée, une croix massive pendue entre deux fenêtres, des murs
chaulés où pas un pouce carré n’est libre. Sur les murs : Gau-
guin, Delacroix, Greco, Manet, Braque, Vallotton, Cézanne,
Renoir, Matisse, Picasso. Et d’autres.
…
Les Stein habitent là. Chaque samedi, ils reçoivent. C’est
table ouverte, ou à peu près. Pour avoir le droit d’entrer, il
suffit de répondre à la question rituelle lancée par la maîtresse
de maison : « Qui vous envoie ? » par un nom d’artiste dont
les œuvres sont exposées là.
…
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Miss Stein vient d’apparaître à la porte de l’atelier. Elle porte
ce jour-là une robe en velours marron qui prend sa taille en
étau et enferme les épaules dans un carcan dont les chairs
s’échappent en bourrelets indisciplinés. Pour se protéger du
froid, elle a enfilé de grosses chaussettes de laine qu’elle a pous-
sées, enfoncées et casées dans des sandales à lanières qui font
scouitch sur le parquet ciré.
…
Elle file en direction du grand tableau peint par Picasso et
s’installe sous son propre portrait. Aussitôt, Henri Matisse,
Robert Delaunay, Maurice de Vlaminck, trois pique-assiette
font cercle autour d’elle.
Gertrude Stein est le chef d’orchestre de ces réunions d’ar-
tistes et s’aime dans ce rôle. Assisse sous son propre portrait comme
Saint-Louis sous son arbre, elle dispense ses commentaires avec
autorité, jetant un regard de paysanne furibarde sur qui l’inter-
rompt. Elle ne supporte ni les écrivains qui qui n’admirent pas les
quelques nouvelles qu’elle a publiées dans les journaux améri-
cains, ni les peintres quand ils ne lui sont pas dévoués, elle qui
est leur bienfaitrice matérielle et morale. A ceux qui refusent
de se rendre dans les salons officiels, elle offre un lieu d’exposi-
tion grâce à quoi on les connaît et on les reconnaît. Ainsi
Picasso. Et à qui Matisse doit-il de manger désormais à sa faim ? A elle.
Gertrude Stein aime beaucoup les Matisse. Quand elle va
chez eux, sur les quais près de Saint-Michel, elle est toujours
agréablement surprise par l’ordre qui y règne. Picasso, c’est la
bohème. Matisse, c’est la pauvreté élégante. On mange à peu
près aussi peu chez l’un que chez l’autre, mais rive gauche, les
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apparences sont sauves. Madame Matisse sait préparer le bœuf
mironton. Elle est totalement dévouée à la cause de son mari.
Un jour, Matisse l’a fait poser déguisée en romanichelle, une
guitare à la main. Elle s’est endormie et l’instrument est tombé.
La famille avait juste ce qu’il fallait pour manger, mais elle a
préféré crever de faim et faire réparer la guitare. Ainsi Matisse
a pu terminer son tableau.
Une autre fois, Gertrude Stein a vu une magnifique corbeille
de fruits posée sur la table. Il était interdit d’y toucher : elle
était réservée à l’artiste, pour son travail. Afin que les fruits ne
pourrissent pas, on avait coupé le chauffage dans l’apparte-
ment. Matisse peignait sa nature morte engoncé dans un man-
teau, les mains prises dans des gants de laine.
Gertrude Stein aime beaucoup inviter Matisse et Picasso
ensemble. Ils s’admirent, ils ne s’apprécient pas beaucoup, ils
se mesurent tout le temps. C’est un magnifique spectacle !
Matisse et Picasso, l’image vient de l’un d’eux, c’est Pôle
nord et Pôle sud. Le Français a conservé une raideur qui allait
comme un gant à sa main de scribe lorsqu’il rédigeait les actes
de l’avoué qui l’employait. Il est sérieux. Il ne rit pas. Sa
famille, ce ne sont pas les amis mais sa femme et sa fille. Il
invite peu. Quand il parle, c’est le plus sérieusement du
monde pour convaincre : « Il ne savait pas rire, ce beau peintre
de la joie de vivre », a regretté André Salmon.
…
Apollinaire, plus brillant, s’est montré plus lapidaire : « Ce
fauve est un raffiné ». Il l’a décrit peignant avec solennité plu-
sieurs toiles à la fois, un quart d’heure pour chacune, citant
Claudel et Nietzsche s’il se trouvait des étudiants dans la pièce.
L’Espagnol, lui, est silencieux. Ol s’exprime beaucoup avec
ses yeux, et ses yeux se moquent. Il est sauvage quand le Fran-
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çais est poli. Fuyant les cercles et les salons. Passionné et le
montrant.
Les deux peintres ont cependant quelques points communs :
l’intérêt qu’ils portent au primitivisme, l’amitié que leur porte
l’hôtesse de la rue de Fleurus, l’attention crispée qu’ils se por-
tent l’un à l’autre.
Sur les murs sont accrochées des œuvres de tous deux. Ils
savent déjà ce que les Stein ont compris depuis qu’ils les ont
découverts : ils sont les deux géants de l’art moderne.
Chacun aura ses prosélytes : Matisse, ce sera Léo et son frère
Michaël ; Picasso, ce sera Gertrude. Pour l’heure, les lézardes
n’ont pas encore fissuré la complicité qui lie les frères et la
sœur. Mais déjà, Matisse est jaloux de la sollicitude que l’Amé-
ricaine prodigue à cet Espagnol de douze ans son cadet ; et
jaloux encore de Braque et de Derain, qui s’éloignent de son
cercle pour approcher les mystères qui se trament dans les éta-
ges du Bateau-Lavoir.
Une question taraude le Professeur : de quoi s’agit-il ?
(pour info, le chapitre suivant du livre de Dan Franck s’appelle « Le Bordel d’Avignon »)
Non loin de là, se trouve le jardin du Luxembourg.
Et la jolie "Dauphine" d'époque qui passait par là !